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Archives Juives 47/2

voyous collabos levendel-19Isaac Lewendel avec Bernard Weisz, Vichy, la pègre et les nazis. La traque des Juifs en Provence, préface de Serge Klarsfeld, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2013, 444 p., 24 €

Depuis quelques années, les monographies, les biographies d'individus méconnus et les études régionales ou locales sont à l'honneur et c'est tant mieux ! Car la « petite histoire qui fait aussi la grande Histoire » (Isaac Lewendel) permet de mieux saisir la vie quotidienne de ces hommes et femmes qui, à un moment donné, ont été à la fois les acteurs et les victimes d'une période historique.

C'est donc une étude régionale sur la Provence et plus particulièrement sur les Juifs du Vaucluse, dense, approfondie et vivante, que ses deux auteurs livrent aux lecteurs. À l'aide de témoignages pour la plupart inédits et d'archives exhumées dans les fonds municipaux, il est alors permis de mieux appréhender les persécutions dont les Juifs furent l'objet durant les « Années noires ». Il s'agit bien d'une enquête minutieuse, savamment construite et détaillée, qui fait surgir soudain ce passé toujours présent dans les mémoires.

Divisé en quatre parties distinctes, l'ouvrage analyse d'abord le règlement de la « question juive » selon les autorités françaises, puis la traque des Juifs par les forces allemandes, quelques personnages ambigus de la Collaboration, la violence antisémite notamment à Avignon et enfin les relations fortuites entre les nazis et les pègres parisienne et marseillaise. Grâce à la confrontation des documents, il est ainsi possible de saisir les multiples systèmes de persécution qui sévissent dans la région tout en variant dans leur mode opératoire, car si la traque des Juifs est un tout, elle varie au fil de l'Occupation et selon les circonstances.

Jusqu'au 11 novembre 1942, qui correspond à l'invasion de la zone sud par les troupes allemandes, elle est soumise aux impératifs de la politique du régime de Vichy. Les fonctionnaires, zélés, veillent à appliquer sans état d'âme les statuts des Juifs tout en marquant une préférence pour persécuter les étrangers, d'où les arrestations puis les déportations en août 1942. Étrangement, certains notables et dévoués serviteurs de l'État français, qui sont intervenus dans les rouages de la Solution finale, restent intouchés à la Libération et se voient même promus à des postes plus importants après la guerre tel Aimé Autrand ! De la fin 1942 à septembre 1943, la présence des forces italiennes atténue toutefois le processus implacable de la ségrégation mais, avec les Allemands, il en va autrement par la suite. Contrôlant désormais la totalité de la région, ils entendent mener à bien leur politique exterminatrice. Leur nombre est toutefois insuffisant. Ils font appel à des individus douteux pour réussir leur sombre entreprise.

Dès ce moment précis, le contrôle et l'arrestation des Juifs prennent une autre forme. Tous les pouvoirs se juxtaposent pour semer la terreur. Vichy rivalise d'efforts pour démontrer encore son indépendance en la matière tandis que les Allemands s'évertuent à utiliser méthodiquement l'appareil de répression. Fonctionnaires, agents de la Gestapo, miliciens et voyous harcèlent les Juifs. Dans bien des cas, les intérêts des uns et des autres diffèrent. L'appât du gain, avec les spoliations et les aryanisations, est souvent l'un des mobiles qui les animent. Tel est le cas d'Henri de Camaret, le délégué du commissariat général aux Questions juives, qui fait par ailleurs appel à des élus locaux et à des amis pour mieux s'enrichir. Dépassés par les événements et n'ayant guère confiance dans les fonctionnaires français, les Allemands préfèrent avoir recours aux malfrats, aux repris de justice et aux proxénètes de la pègre marseillaise et parisienne comme Charles Palmieri et Georges Parieras. Mais, contrairement aux nazis, les gangsters bénéficient de leurs contacts avec de multiples réseaux qui sont présents jusque dans les préfectures ! La politique antisémite ne les intéresse pas toujours. Ils sont davantage sensibles au profit qu'ils peuvent tirer de cette situation confuse. Ainsi usent-ils de leur force, soudain légitimée par l'occupant, pour exercer un chantage sur les victimes. Ils pratiquent volontiers les vols, les rançonnements et les extorsions de fonds sans que les Allemands puissent réellement intervenir. Certains Juifs fortunés échappent alors à la déportation à cause ou grâce à ces chantages immoraux. Bien évidemment, les plus modestes, après avoir été recélés par les voyous, sont remis aux autorités allemandes.

Sur les 2 000 Juifs présents dans le Vaucluse, un quart environ sera déporté. Comme le note Isaac Lewendel, la persécution aurait pu être plus tragique si les nazis n'avaient pas eu recours aux services de la pègre, toujours attirée par le gain. En fait, l'ouvrage ouvre de nouvelles perspectives car ce qui s'est passé dans ce département n'est pas un cas unique. Il est à peu près certain que sur l'ensemble du territoire français, la pègre a su tirer profit de cette situation trouble. Des études locales aussi approfondies que celle-ci permettraient donc d'appréhender la persécution des Juifs sous un angle nouveau. Les historiens du génocide des Juifs ont encore du travail…

PHILIPPE LANDAU - Archives Juives 47/2 (2014)

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Provence 1940-1944