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Georges Parietas

Poursuivons par l’affaire Stora à Villes sur Auzon datée du 3 juin 44, toujours dans le dossier de Cappe. Coup classique de mise en liberté contre argent comptant qui rapporte 180.000 francs. Là on a le témoignage de la victime donné le 24 juillet 46, Maurice STORA, antiquaire, domicilié au 32 Bd Haussmann à Paris :

    Il est bien exact que courant 42, ou plutôt vers le mois de décembre 1942, dans le but d’échapper aux représailles exercées contre les israélites, j’ai quitté Paris en y laissant ma famille pour me réfugier dans la région d’Avignon, à Villes sur Auzon où mon beau-frère Paul Cartoux possède encore actuellement une villa. Dans la dite localité, j’ai d’abord vécu à l’hôtel puis j’ai loué une villa à mon compte dès que ma famille m’a rejoint.

    A Villes sur Auzon où je me trouvais, je n’ai eu aucun ennui jusqu’au 3 ou 4 juin 44. Ce jour là je reçus la visite de 2 individus accompagnés par M. Mus, garagiste à Villes qui me conduisait à Avignon où j’allais me faire soigner les dents. L’un des individus se dissimulait derrière Mus… Aussitôt que j’ai ouvert la porte, l’individu en question est entré chez moi révolver au poing en disant : « Police allemande, pas un mot, pas un geste, vous êtes juif et je viens vous arrêter et perquisitionner… » Il m’a dit que dans quelques minutes son chef allait venir et il a jouté que son chef s’était déjà arrangé avec plusieurs personnes dans mon cas et qu’il n’y avait aucune raison qu’il ne s’arrange pas avec moi. Naturellement, il m’a dit cela après avoir vu le contenu d’une serviette en cuir qui renfermait mon argent, car je lui avais demandé si je pouvais l’emporter.

    Me rendant compte qu’il avait été impressionné par l’argent contenu dans la serviette, je lui ai demandé ce qu’il fallait lui donner. Il m’a répondu de tout donner et je serais sûrement mieux à Villes sur Auzon que dans un camp de concentration.

    Sur ces entrefaites, son chef arrive en effet et se présente chez moi en disant « Police allemande », mais sans me montrer aucun papier… Comme ils insistaient pour m’arrêter, je leur ai demandé s’il n’y avait pas un moyen de s’arranger comme me l’avait dit le premier individu, lorsqu’il avait vu mon argent. Le soi-disant chef m’a répondu que non. J’ai insisté et il a fini par consentir. Je leur ai donné le contenu entier de ma serviette soit la somme d’environ 180.000 francs. Ce soi-disant chef m’a demandé l’autorisation de prendre une cravate neuve de chez Lanvin et une paire de gants en peau de porc de chez Hermès, qui se trouvaient  dans un tiroir de la commode. Naturellement, j’ai haussé les épaules et n’ai même pas répondu. Il s’est donc approprié ces deux nouveaux objets en même temps qu’il a empoché les 180.000 francs. Cela se passait un samedi matin. Au moment de se retirer, ils me dirent qu’ils reviendraient le mercredi suivant.

STORA n’a pas attendu son reste ; il rentre à Paris sur le champ.

Examinons à présent le cas de « Simon le manchot » ainsi nommé par ceux venus l’arrêter. Les gangsters ont, c’est connu, le sens de la formule. Il s’agit d’un couple qui vit caché dans une ferme à Morières, route de Montfavet. Information donnée, d’après Boyer, par Albert Sauvet et « Boyer de Mondragon ». Georges Boyer se doute que l’homme est très riche. Il s’agit d’en imposer. Il se présente donc comme le commissaire Boyer, et après une fouille en règle, « Simon » comprend vite le pourquoi de son arrestation. Boyer poursuit dans son procès verbal :

    Simon m’a proposé la somme de 1 million pour la liberté et je l’ai acceptée. Cependant, mes camarades avaient découvert dans un coffre les bijoux de Madame Simon, au bas mot une valeur de 3 millions. Ils voulaient les garder. Mais je m’y suis opposé car d’abord Simon était d’accord pour quitter le pays dès le lendemain et ne parler à personne de son aventure. De plus, mes camarades avaient commis une faute en faisant entrer les voitures dans la cour de la ferme. Je savais que les personnes présentes allaient relever le numéro d’immatriculation et je craignais que le lendemain nous soyons tous arrêtés. J’ai donc insisté pour qu’on laisse les bijoux. Simon a remis 800.000 francs en billets de banque français et 200.000 francs en pièces d’or, louis et dollars. Nous avons quitté les lieux en disant aux gens de la ferme que notre enquête était une erreur et que Simon était en règle, de façon à ce que l’affaire ne soit pas ébruitée. Simon en notre présence a confirmé. Nous nous sommes rendus ensuite chez André au 30, rue du Rempart St Lazare à Avignon, où nous avons partagé immédiatement. 

Là aussi, on dispose du témoignage de la victime, daté du 20 décembre 1944. « Simon » est en fait André Himmelfarb, 46 ans, directeur commercial, rue d’Armény à Marseille. Dans sa déclaration, où il estime son préjudice à 3 millions et demi, il indique qu’après le départ de Boyer, il s’est réfugié dans le Gard avec sa femme.

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Provence 1940-1944